Amandio PIMENTA : Mutation et Réalisme

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Amandio PIMENTA
Amandio PIMENTA

L’homo-politicus national et européen, par son comportement irresponsable avéré et par l’absence de véritable contrôle, est descendu en termes de perception et d’image par le citoyen, au niveau d’un mauvais représentant de commerce pour entreprise en grandes difficultés.

 

Ceci s’explique sans doute par une connaissance trop superficielle du monde de l’entreprise et de l’environnement économique. Peut être aussi parce qu’il est trop éloigné de la vie de tous les jours.

 

Partout ailleurs dans le monde la croissance repart. L’Europe et singulièrement la France, quant à elles, s’enfoncent douloureusement dans les profondeurs abyssales de la perte de confiance et de la récession. Nous faisons moins bien avec de plus en plus d’argent ! Trop d’hommes politiques, pas assez d’hommes d’état

 

Paradoxe, schizophrénie, incapacité à agir et à réformer, mauvaise utilisation de l’argent public, gaspillage sont des termes couramment utilisés pour qualifier une absence de bonne gestion et une vision sociétale qui nous fait cruellement défaut. Curieusement, chez nous c’est la cour des comptes qui vient au secours des politiques pour leur suggérer des changements à opérer… étonnant !!!

La glissade est tellement surprenante  que la responsabilité de ce désastre dépasse les clivages et les alternances politiques. Comme acteur économique, comme chef d’entreprise, il est légitime de se demander si à BERCY, depuis bien des temps, il y a une direction qui maitrise et contrôle l’économie.

A l’évidence, nous assistons dans la période que nous vivons à un véritable séisme politico-économique.

 

Nous n’en connaissons pas encore l’échelle ni l’ampleur ; nous ne pouvons qu’en imaginer la portée et les conséquences.  Celles-ci sont d’ores et déjà pour partie visibles que ce soit sur nos salariés, nos entreprises, l’état, les collectivités territoriales, ne serait-ce qu’en termes de pouvoir d’achat, de charges, de fiscalité…

 

Plus près de nous encore, nous sommes obligés de  constater en la circonstance, que l’exercice de notre métier, le fonctionnement de nos entreprises changent et se compliquent. La mutation s’accélère, voire s’intensifie à tous les niveaux. Que ce soit en matière commerciale,  de modes de consommation, de social, de formation professionnelle, de recrutement, de conditions de travail…

 

Chacun d’entre nous vit plus ou moins cette situation au quotidien, aussi est-il parfois bon et utile de sortir de l’action, de prendre du recul, de se poser et de réfléchir à ce qu’il se passe, afin de mieux se positionner pour faire réussir son entreprise ou simplement pour la sauver.

Au-delà de la mauvaise gestion récurrente depuis quelques années, à toutes les époques les « conservateurs » se sont opposés aux « modernistes » et souvent ceux qui ont eut raison, ce sont les réalistes. Les réalistes ne spéculent pas sur des hypothèses, ne s’arque-boutent pas sur des principes dépassés ou utopistes, ils sont pragmatiques, prennent la situation telle qu’elle est, puis réfléchissent aux solutions à envisager et les mettent en œuvre. Les réalistes ont une vue sur l’avenir qui ne s’arrête pas aux prochaines échéances électorales !!!  C’est ainsi que depuis des millénaires la nature et la vie reprennent toujours le dessus.

La partie excessive du vent du libéralisme sauvage européen, voire mondial, associé en son temps au manque d’engagement de notre secteur d’activité, explique sans doute les évolutions excessives de tous ordres survenues dans le monde de la boulangerie depuis plus de deux décennies.

Plus que jamais l’entreprise de boulangerie a besoin d’aide, d’accompagnement, de soutien… Tous, nous recherchons des solutions à nos diverses situations souvent complexes.

Afin de soutenir « avec clairvoyance » cette réflexion, faisons ensemble une constatation.

Depuis plusieurs années, en fréquentant les salons professionnels tels que SIRHA, EUROPAIN,… qu’observons-nous de plus en plus en boulangerie artisanale ? Nous voyons d’un côté un développement exponentiel des marques, des concepts, y compris avec des produits surgelés. De l’autre côté de plus en plus de porteurs de projets extérieurs au monde de la boulangerie, tels que des personnes en reconversion ou en changement d’orientation professionnelle…

Tous ces « investisseurs  potentiels» ont un point commun que nous ne pouvons ignorer et qui fait leur force. Ils veulent faire quelque chose de leur vie, donner du sens à celle-ci, se réaliser et s’épanouir dans leur activité professionnelle… et la boulangerie vue de l’extérieur est très attractive en matière de rentabilité, d’expression personnelle, d’existence sociale, de valeur sociale.

La boulangerie en général offre une image susceptible d’apporter à ces hommes et ces femmes la perspective de réaliser leurs aspirations et leurs envies.

 

Face à un certain immobilisme des structures artisanales représentatives qui n’ont pas su anticiper certaines évolutions et les ont subies, en particulier sur le besoin de « package global de services » pour ces nouveaux acteurs, nos fournisseurs, nos meuniers, forts du potentiel économique de notre secteur, ont à tort ou à raison, décidé de prendre en charge leur propre développement en créant leurs marques et leurs concepts. Ce faisant, ils ont apporté des réponses concrètes aux attentes latentes de ces nouveaux opérateurs.

Actuellement sur le terrain, ces deux phénomènes se sont rejoints au travers du développement notable de franchises, de licences de marque et autres formes juridiques détenues en grande partie par nos propres fournisseurs.

Tous ces porteurs de projets bénéficient et profitent souvent de l’image artisanale alors qu’ils sont adossés à l’industrie, par exemple en fabriquant le pain et en achetant en surgelé la viennoiserie et la pâtisserie. De nombreux concepts sont basés sur ce principe. Un autre facteur est déterminant dans la réussite de ces projets : c’est l’accompagnement technique et financier ainsi que la formation sur le terrain par la meunerie.

La boulangerie française traditionnelle est de fait malmenée, il suffit pour s’en convaincre de voir nos parts de marché et autres redressements et liquidations judiciaires !!!

Si nous mettons  les courbes sur un graphique  de nos pertes de parts de marché, de la baisse du taux de syndicalisations dans les syndicats départementaux professionnels et du développement des marques, des concepts et autres franchises, nous nous apercevons d’une corrélation indiscutable entre ces trois phénomènes.

 

Une grande question se pose à tous et toutes face à ce constat implacable au regard des réalités économiques et statistiques : faut-il accepter le mélange des genres ou faut-il défendre et préserver l’identité artisanale ? La question à ce jour n’a pas reçu de véritable réponse par nos élites.

 

Heureusement il reste encore de très nombreux chefs d’entreprise, artisans dans l’âme, lucides au quotidien, dotés d’une vision stratégique et entrepreneuriale sur leur avenir, qui réussissent admirablement.  Je ne citerai pas d’exemple parce que je ne puis tous les valoriser, mais nous connaissons autour de nous de nombreux artisans dont le nom, par la  grande qualité de leur travail est devenu une « marque » voir même un « concept » avec des développements de plusieurs entreprises parfois conséquents.

Ceci doit nous interpeller car actuellement de nombreuses lectures spéculent et nous prédisent que dans les années à venir, 80% de la boulangerie française sera sous labels, marques, concepts et autres franchises. Il est à craindre que si la courbe continue sur la même pente qu’en ce moment, cette prédiction se réalisera.

Nombreux sont ceux qui parmi nous, depuis bien des années, militent avec des convictions profondes, viscérales au sein des syndicats professionnels. Malgré les problèmes, nous en connaissons parfaitement la nécessité et l’utilité en particulier sur la défense et la représentation des intérêts généraux et particuliers de notre secteur auprès des pouvoirs publics. Malheureusement nous en connaissons aussi les vieux démons. Mais ces vieux démons ne doivent pas occulter le besoin d’adaptation à notre temps.

Alors que peuvent nous suggérer ces éclairages partiels sur la réalité ? S’il se vérifiait que, effectivement nous allons irrémédiablement vers une augmentation très importante des marques et des concepts, il deviendrait urgent que nous réfléchissions toutes et tous à ce que notre profession au niveau départemental, voire régional ou national mette en œuvre sa ou ses propres marques et concepts avec un cadre précis prenant en compte l’ensemble du spectre de l’exercice de notre profession, afin de sauvegarder un cadre artisanal à l’expression de la totalité de notre métier.

De nos jours, compte-tenu d’un libéralisme incontrôlé et de certains lobbyings nationaux, européens et mondiaux, il est devenu quasiment impossible de protéger notre métier par la voix du législateur. Face à la mondialisation acceptée en son temps, l’état est de moins en moins protecteur.

En revanche, rien n’interdit à un secteur d’activité de se constituer en « législateur pour sa propre activité par un contrat collectif à travers une marque » de déposer ses propres marques, d’en fixer le cadre d’exploitation et de communication, afin de protéger, puis de  pérenniser son propre avenir.

 

Songeons un instant et imaginons à titre d’expérience, l’impact que pourraient avoir 10 à 15 artisans boulangers syndiqués indépendants, réunis sous une même marque, avec une charte graphique collective dans une ville donnée. Ils fabriqueraient de A à Z le pain, la viennoiserie, la pâtisserie, le traiteur en respectant l’appellation boulangerie, avec un cahier des charges artisanal prédéterminé ; ils communiqueraient sur toutes les tendances actuelles en matière de santé, d’environnement, de filières courtes. Indiscutablement cet exemple tirerait la boulangerie artisanale vers le haut et donnerait l’envie à d’autres de venir faire grandir leur réussite. Si la marque appartient au syndicat, celui-ci devient alors un fédérateur incontournable. Une fois la preuve de la démarche réussie apportée, alors il serait facile de la décliner sur l’ensemble d’un département, d’une région, puis au niveau national. Bien sûr cette approche est prospective, d’autres pistes similaires peuvent être envisagées.

L’objet de cette prise de parole est d’élargir une prise de conscience et de nourrir un débat nécessaire. Tout peut se discuter, tout est discutable, voire contestable, mais une chose est sûre  et ne se discute pas, nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur notre avenir.

L’économie ne se nourrit pas de mots, mais de confiance, de vision, d’anticipation et d’action. Nos élites seraient bien inspirés de s’en souvenir, si nous voulons continuer à fournir à notre pays une économie boulangère artisanale structurée.

 

Amandio PIMENTA
« Un des Meilleurs Ouvriers de France boulangers »

 

Réponse de LA TRIBUNE DES METIERS :
Il appartient à chaque lecteur de comprendre ces quelques lignes comme une interrogation sur la filière et son avenir artisanal. Nous sommes conscients que le métier de boulanger, associé à celui de pâtissier, doit rester en harmonie avec l’acte d’achat d’un consommateur averti. Nous le répèterons toujours, ça va sans dire, ça va mieux en le disant. Le consommateur est libre, il achète, il doit savoir !