Horizons… rendez vous à Belfast avec Alain Kerloc’h

0

Copropriétaire avec le chef Stephen Toman du restaurant étoilé «OX», Alain Kerloc’h est sommelier. Un profil inédit dans La Tribune des Métiers, qui offre un autre regard sur le monde du sucré et avec lui, des accords desserts-alcools, un mode de management, l’esprit d’un pays d’accueil… Rencontre avec un grand professionnel qui a mis au cœur de son métier, le sens de l’ouverture et la simplicité.

Entre l’Irlande et la Bretagne…

Stephen et Alain, l’Irlandais et le Breton, se sont connus chez Alain Passard, l’un en cuisine, l’autre évoluant en salle. Le premier repart dans son pays natal, le deuxième tombe amoureux de l’Irlandaise Laura…quelques années plus tard, ils s’installent à Belfast. Les deux anciens de l’Arpège se retrouvent et décident de créer leur propre restaurant.

Ouvert en 2013, «OX» accumule les récompenses : Meilleur maître d’hôtel par l’association des restaurateurs d’Irlande pour Alain en 2014, l’étoile Michelin qui arrive en 2015, Stephen sacré la même année Meilleur chef du pays par le magazine Food & Wine, le titre de Meilleur sommelier et Meilleur maître d’hôtel d’Irlande pour Alain en 2016 et 2017…

Cette reconnaissance de leurs pairs, de la presse et du prestigieux guide marque, entre autres clés du succès, le management en parfaite harmonie d’une équipe de 23 personnes. «De la cuisine à la salle, nous voulons qu’elle ait confiance en elle et en son travail.» Les deux associés s’attachant à faire découvrir d’autres savoir-faire à leur personnel. «Avec Stephen, nous les poussons à connaître différents lieux de restauration en leur offrant les repas. Nous organisons aussi des stages pour eux.»

Une alchimie maîtrisée du salé au sucré, en passant par les accords mets-vins …

Axée sur les produits locaux et de saison, la carte fait la part belle aux légumes et aux herbes, avec une cuisine tout en délicatesse, sans notes fortes ou épicées. «Ce qui est bien chez Stephen  et assez rare chez les cuisiniers, c’est qu’il imagine les desserts. Cela donne une très bonne continuité à nos menus, c’est synchronisé.» Le maillage en accords mets-vins arrive en autre facteur clé de cette alchimie réussie. Par le rôle du grand sommelier reconnu dans tout le pays, la richesse et la diversité qu’offre la cave d’OX.

Coté sucré, la créativité de Stephen Toman s’exprime particulièrement sur les différences de températures et de textures, comme un gâteau au chocolat noir avec une glace à la verveine (l’herbe est infusée au préalable dans de la crème liquide). Un dessert qu’Alain Kerloc’h propose avec un verre de banyuls rouge.

Un petit cake de polenta, dressé avec du mascarpone tiède sur le dessus, accompagné d’un sorbet à l’abricot. «Remplacer la farine par de la polenta nous permet de proposer un dessert sans gluten, avec ce plus en texture que donnent ses petits grains en bouche. Je le sers avec un Pacherenc blanc, qui se marie bien par ses saveurs de miel, d’agrumes et de pêche-abricot

Les crêpes Suzette sont flambées au cognac et proposées avec du cidre. «Le coté pomme va très bien avec ce dessert, en lui donnant un petit air breton qui me ramène à mes racines!»

Dans le plateau des fromages, une association inédite : celle d’un fromage bleu artisanal irlandais au lait cru (le Young Buck), avec un saké à la prune. «C’est superbe!»

Pour Alain, certains vins et alcools se prêtent bien en soupes chaudes, ou travaillés en gelée.

«Le sauternes, qui permet tellement de choses! Avec son miel, sa vanille… un dessert aux fruits d’automne avec une sauce au sauternes, c’est fabuleux. Comme des fruits rouges avec une sauce au banyuls (sauce qui peut être servie tiède, ou froide en gelée). Le gin, plus méconnu dans les desserts, va très bien en gelée sur une petite tartelette de pommes (qui peut être parfumée à la verveine), servie avec un crumble et un sorbet pomme-cassis

Une carte des vins ouverte

«On trouve des vins du monde entier en Irlande ! Comme nous sommes dans un pays ″neutre″ au niveau de la production viticole, nous n’avons pas de pression ou de limites géographiques.»

Une démarche nourrie d’un constat, mais aussi intrinsèquement liée à l’esprit d’Alain Kerloc’h dont le parcours est atypique. Car le grand sommelier… n’est pas passé par la case «formation». Dans ce domaine spécifique en tous cas. Ce sont les rencontres (et la passion de la lecture) qui l’ont amené à ce niveau. Avec le travail et l’honnêteté, une ligne de conduite transmise par Gilles Marzin, l’un de ses professeurs au lycée professionnel Chaptal à Quimper, à qui il rend hommage.

Après son Bac Pro en Hôtellerie Restauration, le déclic se fait lors d’un stage à Beaune, aux cotés de vignerons. «Je m’intéressais déjà au vin et aux associations mets-vins. Par les échanges avec ces professionnels et la découverte de leur savoir-faire, la sommellerie est devenue pour moi une progression logiqueJ’aime ce métier car il représente un apprentissage continuel, qui nécessite autant de se plonger dans les livres que d’être ouvert aux autres.»

Une ouverture conjuguée au sens de l’écoute transmise à son personnel. «Nous devons permettre à nos clients de poser le plus de questions possibles, en évitant les ″idées toutes faites″. Certains sommeliers peuvent montrer un peu d’arrogance et c’est dommage. Je ne me sens pas dans ce type d’attitude

La gastronomie en Irlande, ou comment «tordre» une réputation encore bien ancrée

C’est un fait : l’Irlande n’a pas de racines dites «gastronomiques». La tradition culinaire se base sur des soupes, des ragoûts…La pomme est un fruit Roi (déclinée nature, en crumble, au four…). Mais il n’y a pas que des pommes ou des soupes aux menus, loin de là. «Les touristes sont toujours étonnés que l’on mange bien en Irlande. Nous avons des produits magnifiques ici et de très bon restaurants!»

Les temps changent, la gastronomie a pris ses marques, avec une belle part d’innovation et de création que de nombreux chefs essaiment dans le pays.

L’esprit irlandais…

Chaleureux, pudique et très positif. «Ils n’aiment pas parler d’eux-mêmes, se mettre en avant. Ils sont embarrassés par les compliments! J’ai eu un bon accueil ici parce que je suis toujours resté humble.» Mais ils aiment parler d’histoires improbables qui se terminent bien, comme celle du président Macron, qui a beaucoup de succès. Le sujet n’étant pas qu’il soit de droite, gauche ou du centre, mais son énergie, le fait qu’il ait été un outsider…  «Quelqu’un qui arrive de (presque) nulle part et qui devient président, c’est le genre d’histoire qui leur plaît.» En revanche, parler de politique intérieure avec eux est un sujet qui fâche. Un point de respect à leur égard à prendre en compte.

En revanche, certains aspects politiques (et religieux) peuvent se découvrir différemment et sans les impliquer, grâce aux fresques murales à Belfast et dans d’autres villes d’Irlande du Nord. Témoignages d’un contexte encore sensible, ces peintures sont entrées dans le patrimoine historique et culturel.

La madeleine de Proust d’Alain Kerloc’h:

«Quand je rentre en France et particulièrement en Bretagne, un plateau de fruits de mer avec un muscadet-sur-lie, c’est tout simple. Nous passons deux, trois heures à table en famille, je prends mon temps et je goûte à tout!». Une autre madeleine qui remonte à la petite enfance : manger des crêpes bien beurrées trempées dans un bol de chocolat chaud en regardant monter les petites bulles de beurre…Alain avait quatre ans. Qui sait, sa première association entre un liquide et un met?

OX Restaurant

1 Oxford St, Belfast BT1 3LA, Royaume-Uni
Tél : (00) 44 28 90 31 4121
http://oxbelfast.com

Crédit images fresques Belfast : www.guide-irlande.com

NDLR : L’histoire du fromage irlandais Young Buck  (à la carte d’OX), mérite qu’on s’y arrête. Racontée dans les guides touristiques, elle représente une belle démonstration d’un projet dont le financement n’est pas passé par les banquiers!

Produit en Irlande du Nord, il est né de Mike Thomson, un artisan passionné. L’idée : faire un fromage bleu au lait cru, une première dans un environnement porté sur le pasteurisé. L’homme se tourne vers les banques pour l’aider à financer son projet. Elles refusent, considérant l’échec assuré. Mike Thomson passe alors par un système de crowdfunding (de nombreux artisans et entrepreneurs y font maintenant appel, ici et ailleurs), et collecte grâce à ce mode de financement participatif via le Web, plus de 80 000 livres sterling en moins de 3 semaines! La suite, et le succès de son fromage lui ont donné raison.