Préservez les fondamentaux – Jean-Pierre Etienvre

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Jean-Pierre ETIENVRE - Meilleur Ouvrier de France Pâtissier
Jean-Pierre ETIENVRE - Meilleur Ouvrier de France Pâtissier

Pour toutes les entreprises, les caractéristiques essentielles sont la qualité du produit, la rentabilité et la compétitivité. Les boulangeries et les pâtisseries sont des entreprises qui répondent à ce triangle vertueux.

Les fondamentaux sont les produits les plus connus, les plus faciles à réaliser, ceux que les clients connaissent depuis toujours et qui évoquent tellement de souvenirs (le flan que j’ai mangé cet été en vacances, l’éclair de mon enfance, la tarte au citron meringuée… waouh !). Tous ces desserts qu’il ne faut pas mépriser car leur importance est primordiale.

A l’inverse, fabriquer des pâtisseries à base de chocolat surfin, de Yuzu rare (à plus de 25€ le litre) à la finition élaborée, au décor réalisé au millimètre près est très glorifiant. Mais pour faire ces réalisations, il faut de la matière première chère et des professionnels qualifiés, donc coûteux. Pour que le travail soit rentable, il faudra vendre ce petit gâteau très cher.

Quel plaisir de regarder mes pâtissiers fabriquer au détail près des gâteaux au montage nickel, au glaçage parfait – qu’il soit surglacé ou miroir neutre pour un brillant encore plus beau – parfaire le décor en chocolat, poser avec précision le fruit juste coupé, ajouter la petite étiquette de la maison en signature. Le résultat est aussi probant que la fierté qu’éprouve celui qui l’a fait.

Et sur la table d’à côté, son collègue découpe sa plaque de mille-feuilles, le feuilletage cuit à la seconde près juste flashé au sucre glace pour obtenir une fine pellicule de caramel, la crème légèrement aromatisée. Le mille-feuilles est garni avec justesse, découpé proprement et légèrement sucré sur le dessus. Celui qui l’a fait éprouve la même fierté devant la qualité de son travail !

 

 

Je me dis alors : heureusement que celui qui fait les mille-feuilles en fait vingt, quand celui qui fait les petits gâteaux en fait moins d’une dizaine ; et ceci n’est pas une question de rapidité, mais bien de difficulté. Avec une simple abaisse de feuilletage, un peu de sucre et de la crème pâtissière et du beurre, je vais proposer à mes clients un classique, un bon classique à un prix raisonnable et un rapport qualité/prix très compétitif, d’une bonne rentabilité.

ReligieusesLes éclairs, les tartes au citron, les amandines, les flans, les mille-feuilles ou les grillés sont des fondamentaux qui représentent 60% des ventes de gâteaux et qui assurent la pérennité de mon entreprise car leurs ventes sont régulières et leurs coûts de production intéressants. Les gâteaux du dimanche sont importants, mais comme le costume du même jour ; on ne le porte qu’occasionnellement.

Que recherchent les clients qui chaque jour se rendent à la boutique pour acheter leur pain ? Dans un premier temps, le plaisir d’entrer dans ce magasin aux parfums de pain chaud, chargé de souvenirs d’enfances. On n’entre pas dans une boulangerie comme dans n’importe quel magasin, le client se sent rassuré par cette atmosphère et son désir de succomber est éveillé; il regarde les produits avec gourmandise, puis l’envie le prend et il craque pour un éclair au café : « Ne l’enveloppez pas, c’est pour manger tout de suite ! ».

Cela existe tous les jours, ou devrait exister ; car si les fondamentaux sont là, le triangle vertueux respecté (qualité, compétitivité et rentabilité), les ventes s’annoncent prometteuses. Le client aime se faire plaisir et la satisfaction que lui apportera ce petit gâteau en plus des deux baguettes lui fera oublier la dépense.

Alors il faut soigner, bichonner ces produits d’appel :
– les petits gâteaux basiques (flans onctueux, éclairs gourmands, mille-feuilles craquants…),
– les viennoiseries gourmandes (je vous renvoie à l’excellent Paroles de MOF de juin 2012 d’Amandio PIMENTA sur la rentabilité du travail du tour).

 

 

 

J’entends bien ici et là : « Oui, mais la pâtisserie ce n’est pas que faire des éclairs et des mille-feuilles ».
Bien sûr qu’il est nécessaire de proposer aux clients, ou pour motiver vos troupes, une pâtisserie plus élaborée. Sans faire du Fauchon, il est possible de fabriquer des gâteaux plus raffinés, plus recherchés, plus tendance (par définition la mode est éphémère).

Depuis toujours, et encore aujourd’hui heureusement, les consommateurs vont chez le pâtissier pour y trouver des produits d’exception. Seuls les pâtissiers peuvent proposer ce type de produit mais je pense qu’il faut aussi, pour être rentable et crédible, se limiter à certaines gammes parfaitement réalisées, sans vouloir aller trop loin et se perdre dans la complexité.

Les pâtissiers sont des experts, souvenez-vous qu’il y a quelques années, il fallait trois ans pour obtenir le CAP ! Suivaient deux années comme petits commis et trois autres en tant qu’ouvrier, pour maîtriser les pâtes, les crèmes, les décors, les textures, les cuissons….
Sans être nostalgique, je prêche pour que notre métier de pâtissier soit un pôle d’innovation et continue de former des professionnels exigeants, capables d’excellence dans la transformation des matières premières.

 

 

Le pâtissier doit être au gâteau et au chocolat ce que la gastronomie est à la cuisine, le pain et la viennoiserie à la boulangerie. Nous sommes des experts dans notre métier et c’est cette crédibilité qui nous permet d’être rentables, parce que nos produits peuvent être vendus un peu plus chers. La satisfaction du client l’emporte sur le prix. N’êtes vous jamais sorti d’un restaurant en vous disant:  » C’était cher mais qu’est-ce que c’était bon ! » ?

Cette confiance du client, gagnée de haute lutte, pourquoi aller la perdre sur un produit non maîtrisé, au risque de le décevoir de tout ?

La rentabilité diverge selon la place occupée dans l’espace. L’offre proposée aux clients est large, du rayon boulpat de la grande distribution en passant par les points chauds, la Boulangerie-Pâtisserie et la Pâtisserie, jusqu’au magasin haut de gamme d’un Fauchon ou d’un Ladurée. Le principe est de fabriquer les produits qui correspondent à la place qu’occupe notre entreprise ou à celle que n’occupent pas les concurrents, avec une seule règle « fabriquer des produits qui valent 10/20 ne pourra jamais pérenniser l’entreprise ».

Brochette Viennoiseries100% de nos entreprises devraient vivre sur les fondamentaux, alors qu’elles veulent se prendre pour des grandes maisons, qui elles, fabriquent toujours cette base de classiques essentiels : éclairs (à tous les parfums), croissants parfaits et aussi gâteaux d’exception. Et pour que tous ces produits soient rentables, ils sont vendus chers. Mais au-delà du prix, ce que les clients recherchent dans les grandes maisons, c’est l’assurance d’un produit conforme… et sublimé.

La rentabilité c’est vendre son produit, à une seule condition, qu’il soit le meilleur. Que ce soit un croissant, un macaron, un bonbon de chocolat, un entremet ou une baguette, ce que le client vient acheter, c’est un produit, pas un prix. S’il désire un prix c’est en grande surface qu’il ira le chercher. Sans mettre de côté la compétitivité, évaluez les produits et donnez-leur une note juste et objective. Sont-ils dans le triangle vertueux ? Au-delà de 15/20, la qualité l’emporte sur le prix et vous fidélisez votre clientèle.

J’aime tout autant être réputé pour mes madeleines et en vendre des dizaines de milliers, parce que c’est simple et rentable à fabriquer (n’importe quel salarié peut les faire) que pour mes gâteaux d’exception. Chaque fois que mes clients me croisent, ils me disent : « J’adore vos madeleines ! »… et moi aussi…

Quand j’ai appris la pâtisserie, avec de la meringue et de la crème au beurre, on faisait des grands gâteaux et des individuels, pas de surgélation, pas de congélation ; ceux qui m’ont appris le métier me disaient : « Une bonne meringue, une crème au beurre légère et du praliné, un bon produit, simple à fabriquer, une bonne conservation. Tu vois petit, la rentabilité c’est ça »…
… oui mais ça, c’était avant…

Sauf que c’est encore aujourd’hui un de mes gâteaux les plus vendus.

 

Jean Pierre ETIENVRE
Meilleur Ouvrier de France Pâtissier.