La panification pourrait entrer dans une ère nouvelle ! Par Christian Rémésy, Nutritionniste, Directeur de recherche INRA

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Il n’y a pas qu’en politique où un système de fonctionnement ancien peut s’effondrer assez rapidement. La vitesse du changement en panification peut paraître terriblement lente, mais il existe aussi des possibilités d’accélération de l’histoire en matière de pain. Personne ne songe à faire du bon vin à toute vitesse, or des progrès récents ont montré que la qualité du pain pourrait être fortement améliorée par une nouvelle gestion du temps de panification. Voici quelques explications.

 

On peut dire schématiquement que la panification a connu jusqu’ici deux ères, une ère ancienne suivie d’une période moderne. Des millénaires durant, le pain était produit avec des farines produites à la meule de pierre et des ferments naturels de type levain plus ou moins riches en bactéries lactiques et levures sauvages de toutes origines. Le pétrissage manuel, l’utilisation de farines bises, une utilisation modérée de sel et une fermentation au levain assez longue permettaient au final de disposer d’excellents pains sur le plan nutritionnel dont la durée de conservation était remarquablement longue. Cela explique d’ailleurs que les populations aient pu se nourrir majoritairement de pain. De même, on sait l’importance qu’ont eu dans l’histoire les mauvaises récoltes de blé et le manque de pain.

Progressivement durant le XXème siècle, la panification  moderne va totalement supplanter l’ordre ancien. Fini les variétés de blé anciennes et la mouture à la meule de pierre, priorité aux variétés de blé moderne, à la farine blanche issue de moulins à cylindre. Avec le remplacement du levain par la levure industrielle, et  la généralisation  du pétrissage mécanique intensif, on observe, après la deuxième guerre mondiale, une évolution spectaculaire vers du pain blanc très aéré, symbole d’abondance et de pureté, produit très rapidement, un pain insipide qui se conserve mal et dont les français vont progressivement se détourner. Beaux dégâts,  que la filière essaie de corriger en développant le pain de tradition française, après le décret de 1993. Contrairement à cet affichage, ce n’est pas un retour aux sources ;  certes, l’utilisation d’un ensemble d’additifs dans les farines devient interdite, mais en remplacement, la meunerie enrichit les farines en gluten et en enzymes. En fait, l’amélioration de la qualité  du pain de tradition proviendra surtout d’un recours à un pétrissage moins intensif et d’une meilleure conduite de la fermentation par de longs pointages bac en chambre froide. Depuis une vingtaine d’années, la qualité du pain  s’est nettement améliorée, mais sa valeur nutritionnelle demeure insuffisante. Cet aliment présente un index glycémique trop élevé, demeure trop pauvre en micronutriments et trop riche en sel.

L’histoire du pain ne va pas en rester là car il est possible de redonner à cet aliment ses lettres de noblesse. A cette fin, il existe deux solutions, soit le retour aux méthodes traditionnelles de panification au levain, mais une majorité de boulangers n’est pas prête à franchir ce pas, soit on invente  un art entièrement  nouveau de faire du pain. C’est cette voie que je préconise et qui a été adoptée et formalisée par les Ambassadeurs du pain, sous l’appellation « Respectus panis », dont la présentation a fait l’objet d’un colloque le 13 mars à Paris. Brièvement, en voici le principe.

Il existe une très grande diversité d’aliments fermentés : yaourts, fromages, saucissons, légumes lactofermentés…. Mais contrairement au pain, la préparation de ces aliments demande des jours, des semaines, des mois. Le secret d’un nouveau pain, celui du XXIème siècle est à rechercher dans une nouvelle gestion du temps de fermentation. Pour réaliser des longs pointages de près de 24 H à température ambiante, il convient de réduire considérablement le degré d’ensemencement en ferments. Dans cette technique de panification, on utilise à peine quelques centaines de milligrammes de levure, ou quelques grammes de levain par kilo de farine , d’autant que  la teneur de sel  est réduite à 12 g/ kg de farine pour ne pas inhiber les ferments. Autre bénéfice et non des moindres, le pétrissage devient presque inutile ; après un frasage avec une température de pâte élevée (prés de 27 degrés) et une autolyse de quelques dizaines de minutes, un pétrissage de 2 minutes en première vitesse devient suffisant.

Dans ce nouveau procédé de panification, la dynamique du travail enzymatique de la pâte est très différente de celle des méthodes à fort ensemencement (10 g de levure/ kg, 150 à 200g de levain).Avec des apports infinitésimaux de ferments, les enzymes de la farine ont tout le temps nécessaire pour libérer les sucres, les acides aminés et les facteurs nécessaires à la croissance microbienne. La libération de sucres est tellement excédentaire que les bactéries lactiques ne peuvent plus les utiliser entièrement pour leur métabolisme, si bien qu’elles les assemblent en exopolysaccharides, ce qui donne un moelleux remarquable à ce type de pain, particulièrement appréciable dans les pains bis ou complets. On observe aussi bien d’autres améliorations, la conservation du pain, son index glycémique, la transformation des fibres, la biodisponibilité en micronutriments. Personne ne songe à faire du bon vin à toute vitesse ; dans l’ère nouvelle de la panification que j’appelle de mes vœux, il faudra laisser aussi du temps au temps de panification, en utilisant très peu de ferment, ce qui bonifie le pain et pourrait faciliter le travail des boulangers. Que diriez-vous de faire un test dans votre fournil…

Portrait Christian Remesy

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