Comment devient-on l’un des Meilleurs Ouvriers de France ? Par Didier Stephan M.O.F. Glacier

0

Cela fait cette année 20 ans que je porte ce col bleu blanc rouge et que cette médaille d’or orne mon bureau….c’est une aventure assez folle ! Très jeune, dans les années 70, je rêvais d’être professeur de sciences naturelles, j’étais passionné par les papillons et les coléoptères. Les hasards de la vie m’ont fait rencontrer cette année-là un homme qui a bouleversé toute mon existence…

 

Didier Stephan - MOF Glacier

 

Les hasards de la vie m’ont fait rencontrer cette année-là un homme disparu aujourd’hui, Mr PARIS… Personne ne l’appelait comme ça, pour TOUS c’était Jacky Paris. Il m’avait pris pour un été en saisonnier pour gratter les plaques et dorer les croissants…Petites tâches pour lesquelles je gagnais une petite pièce et occupais mon temps.

Seulement voilà, je me suis rendu compte que ce métier était fait pour moi. J’étais pressé d’avoir mon indépendance et apprendre la pâtisserie me semblait intéressant. Enfin, c’était surtout l’humanisme de l’homme et l’impression que j’avais de pouvoir être libre avec un métier en main. Je n’ai pas tout de suite su que j’étais doué car mon patron veillait à ne pas faire de différence entre ses apprentis. Mais mon professeur au CFA d’Angoulême avait bien vu que j’étais un bon élève et mon premier concours, je l’ai préparé avec Mr Panchouquet au  CIFOP de la Charente.

Quand il s’est agit de préparer mon BM le directeur m’a fait suivre les deux années en même temps.

Le matin, je suivais les cours de première année…l’après-midi, ceux de deuxième année…..

J’étais passionné déjà par un autre homme qui fut mon professeur en brevet de maîtrise, Mr Claude Gelé. Lui, c’était un double Meilleurs Ouvriers de France. Nous avions un respect pour cet homme incroyable mais j’étais assez provocateur et souvent on se heurtait pour des détails…j’avais mon caractère !

On se revoit de temps en temps, il a 93 ou 94 ans, il est toujours le même, curieux des nouveaux produits qui arrivent chez les pâtissiers…il est incroyable.

Mon histoire avec les papillons s’est renforcée par le fait que mon patron d’apprentissage les élevait dans des grands vivariums….oui c’était un pur hasard et je suis parti bien vite en Afrique en m’engageant dans l’armée pour être au Niger, au Tchad, au Gabon dans le cadre de mon service militaire avec pour objectif…les papillons.

Avant mes vingt ans, j’avais déjà vu le monde et la suite de ma carrière a démontré mon goût pour les voyages.

Devenu professeur moi même en 1980, je trouvais enfin le temps de participer à des concours. Cette entrée au CFA de Jonzac m’à fait découvrir mon vrai métier….enseignant.

Tout le monde n’a pas la fibre pour devenir formateur, c’est un métier difficile pour lequel il convient de donner de bonnes habitudes aux jeunes qui ne sont pas toujours dans de bonnes entreprises. Rassurez-vous, il y a aussi d’excellents patrons qui ne méritent pas d’avoir des jeunes aussi peu intéressés.

J’y suis resté 26 ou 27 ans, je ne sais plus, mais durant toutes ces années j’ai formé de  nombreux pâtissiers qui ont aujourd’hui pignon sur rue ou qui exercent encore avec passion.

Tout mon temps libre, ou presque, je le passais à m’entraîner sur le travail du sucre, avec un autre passionné, Jean François Arnaud, devenu lui aussi MOF.

Je participais à de nombreux concours, à vrai dire, tous ceux de ma région mais aussi le Charles Proust, celui de ROMORANTIN ou d’ARPAJON… mais c’est à BORDEAUX que j’ai fait le plus d’apparitions dans les concours avec François Servant, devenu lui aussi MOF. On raflait tous les prix, on jouait à faire le concours de glace et de sucre en même temps, on était fous, mais cette douce folie, cette rage d’aller plus loin, cette opiniâtreté nous à tous menés au titre de MOF.

S’inscrire aux concours de M.O.F. !

Franchement, la chose ne nous avait pas traversé la tête. S’inscrire à un tel concours, nous n’en avions pas l’ambition. Cela nous semblait une trop grande marche à gravir, mais un jour sur les conseils d’un vieux monsieur dont le nom m’est resté, Mr Poirier, sans doute un membre d’un syndicat, nous avons, François et moi, décidé de franchir le pas.

Sélectionné pour la finale en 1993, je n’ai pas eu le titre mais François est passé. J’étais très affligé et il ne fallait plus me parler de concours…c’était fini !

Mais la flamme était trop ardente, et deux ans plus tard, j’étais à nouveau en selle et cette fois-ci ce fut la bonne.

Quinze ans de concours … J’avais 42 ans !

À partir de cette suprême reconnaissance de mes compétences par mes pairs, la valse des déplacements internationaux a commencé. Très vite, j’ai plus ou moins été obligé de quitter ma vie de prof pour créer une entreprise de formation. Du consulting comme on dit, mais j’ai horreur de ce mot.

Le prof devenu prof mais pour son compte.

Le petit apprenti de province, sorti de sa Charente, demandé dans le monde entier pour apporter ses lumières, c’était un rêve. J’ai commencé tout naturellement par des départements d’Outre-Mer et la Guadeloupe m’a accueilli ou plutôt Marie Galante….puis La Martinique, La Réunion. Dans l’Océan Indien j’ai eu de très nombreux clients, tous devenus des amis voir presque des membres de ma famille. Je connais mieux l’Ile de La Réunion que les Réunionnais eux même disent-ils. Enfin c’est certain, mieux que l’Ile d’Oléron qui est à 40 km de chez moi.

Puis je suis parti au Japon, en Chine en Ukraine, en Pologne, au Danemark, en Russie au Honduras, au Mexique …

Au début de mes actions, on me faisait souvent faire des démonstrations de sucre soufflé. J’étais le roi des langoustes, homards et autres poissons en sucre. J’ai d’ailleurs toujours ce faible pour le travail du sucre soufflé et j’anime encore ce type de formation ou de démonstration.

C’est rapide très artistique et c’est mon identité…

Mais le MOF glacier est un oiseau qui tape aussi dans la glace hydrique.

Alors là ! La sculpture sur glace c’est du pur bonheur ! Rien que la tête des gens lorsqu’ils nous voient sortir le matériel, on est un peu fous sans doute de s’entraîner à tailler dans une matière qui disparaît dans les heures qui suivent, sans doute oui, mais quelle magie, car bien entendu, cela aussi je le transmets.

La transmission du savoir est sans doute la colonne vertébrale de ma carrière. Telle une obsession…un sacerdoce, l’enseignement à sûrement été et est encore ma raison de vivre.

[vc_images_carousel images= »8719,8718,8717,8716,8715,8714,8713,8712,8711,8710,8709,8708″ img_size= »large »]

Plus tard j’ai animé de nombreuses formations avec l’INBP, et avec cette école c’est encore une autre expérience que j’ai faite en me déplaçant dans tous les coins de France, parcourant parfois 2500 km en train par semaine ; j’ai aussi fait de très belles rencontres souvent avec des gens animés par l’envie toujours d’apprendre plus.

J’ai pris depuis cinq ans plus souvent l’avion que je n’aurais imaginé. Je vais aussi en Polynésie française, 23 h d’avion, 12 heures de décalage horaire, des paysages comme dans toutes les îles à couper le souffle, des fonds marins extraordinaires, masque tuba et en avant pour l’observation, le prof de science nat est toujours en moi.

Il y a quelque temps je suis allé à Haiti, mettre en place une fabrique de sorbets avec les fruits du pays et des glaces avec le lait des fermiers locaux ; cette île qui n’a pas de chance, toujours ravagée par un tremblement de terre ou un cyclone, souffre beaucoup mais ses habitants sont d’une gentillesse exceptionnelle et j’ai eu beaucoup de plaisir à leur faire partager les savoirs qui sont utiles au glacier.

Je pourrais écrire 20 pages sur cette mission mais tout autant sur La Réunion et Tahiti.

Le savoir ne vaut que s’il est partagé par le plus grand nombre. Ce n’est pas de moi, mais j’en ai fait une maxime. On parle aujourd’hui de jeunes qui ont un BAC plus 6, ou davantage, rarement de ceux qui ont trois CAP, une Mention Complémentaire, un BP et un BM ….

La distinction « métier manuel » reste souvent péjorative. On dit d’une personne, « c’est un ouvrier », avec l’air de dire « ce n’est qu’un ouvrier ! »

Moi, je suis fier de ma vie d’ouvrier spécialisé qui aura passé tout son temps derrière le pupitre de prof et qui a eu de nombreuses satisfactions. La disparition trop tôt de Benoit Violier, nous a tous attristés. Il était mon élève.

Mais point n’est besoin d’être MOF pour être un excellent Pâtissier. De la patience, des convictions,  l’amour du travail bien fait et des principes du genre : « ne pas se servir, ne pas asservir, mais servir ».

Cent fois sur les métiers remettre son ouvrage. S’entraîner, passer du temps, beaucoup de temps. Être à l’écoute des autres et s’engager.

J’ai présidé durant des années l’association des M.O.F., d’abord départementale, puis régionale. J’ai été durant onze ou douze ans le président de l’association des sculpteurs sur glace hydrique et durant toutes ces années j’ai fait naître des passions avec le bureau de l’association « jeunes », devenus moins jeunes, qui aujourd’hui se frottent aux concours pour que la boucle se forme, celle de la transmission du savoir, la chaîne qui ne doit jamais arrêter, que les maillons se multiplient et à leur tour forgent les passionnés de demain.

Le métier de professeur formateur en pâtisserie est un vrai métier. Je suis toujours étonné de voir débarquer comme formateurs, des personnes proches de la retraite ayant, il est vrai, exercé toute leur vie, mais cela ne fait pas d’eux des pédagogues.

Pour ma part, je trouve que la pâtisserie est devenue trop sophistiquée, trop alambiquée. Le retour aux bases qui se constate aujourd’hui est une bonne nouvelle. Les fondements de notre métier de Pâtissier-confiseur-glacier-chocolatier sont dans toutes ces bases que parfois on rechigne à enseigner si bien que trop nombreux sont les ignorants en technologie. La technologie, c’est la clé de toutes nos problématiques.

Aujourd’hui j’ai la chance d’être aux côtés d’un docteur en biologie-biochimie, c’est le bonheur. On m’a souvent appelé docteur pour rire dans mon métier car j’étais toujours celui qui avait une explication claire et scientifique. Aujourd’hui je me rends compte de toute mon ignorance. Je sais, je sais, je sais. Je sais qu’on ne sait jamais et qu’il faut sans cesse être en mode veille pour capter toutes les subtilités qu’un métier comme celui-là cache à ceux qui ne savent pas observer.

J’aide aujourd’hui une école à voir le jour au Maroc. C’est encore un challenge qui rejoint le même objectif, celui de ma vie, donner, donner encore car plus on donne, plus on reçoit en retour de l’affectif.